Le Droit | par Mathieu Bélanger
Tout au long de la semaine, Le Droit approfondira différents aspects de ce qui s’annonce comme une véritable greffe du coeur en plein centre de la capitale du Canada. Des enjeux, environnementaux, économiques, de mobilité et de mémoire collective seront entre autres abordés dans une série des textes portant sur le remplacement prévu du pont Alexandra.
Le rapport sur la Description détaillée du projet, dont nous avons obtenu copie, a été rédigé conformément à la loi fédérale sur l’évaluation d’impact et fait partie de la planification préliminaire du projet. Le document révèle déjà que les impacts sur la mobilité seront nombreux, coûteux, et que le casse-tête occasionné par le chantier sera différent qu’on soit automobiliste, utilisateur du transport en commun ou adepte du transport actif.
Différentes mesures sont déjà à l’étude par les fonctionnaires de l’Équipe de projet intégrée (EPI) qui planche déjà sur un système complet de contournement prévoyant un réseau de détours tant du côté d’Ottawa que de Gatineau. Des options de réinstallation temporaire ou permanente d’infrastructures importantes comme le quai, la rampe de mise à l’eau, la marina et les aires de stationnement du parc Jacques-Cartier sont à l’étude.
L’idée de taxis nautiques faisant la navette entre le Musée canadien de l’histoire, sur la rive québécoise, et les écluses du canal Rideau, à Ottawa, est sérieusement envisagée pour desservir les piétons et les cyclistes, les travailleurs et les touristes qui se déplacent d’une rive à l’autre.
Services publics et Approvisionnement Canada (SPAC) explore présentement diverses options comme un système de dégivrage sur la rivière des Outaouais pour allonger la saison des bateaux-taxis. L’utilisation d’une technologie permettant de maintenir le canal Rideau ouvert en hiver et aussi à l’étude, lit-on dans le rapport.
La possibilité de déplacer temporairement le tronçon cyclable qui traverse actuellement le pont Alexandra est en analyse. Le pont Cartier-Macdonald est envisagé pour accueillir ce lien de transport actif important. Cela permettrait de relier le sentier existant près de l’extrémité nord du parc Jacques-Cartier à la promenade Sussex, à Ottawa.
Un système de navettes pourrait aussi être mis en place sur le boulevard de la Confédération [rue Laurier Gatineau, le pont du Portage, et la rue Wellington à Ottawa] pour notamment desservir efficacement les employés fédéraux qui doivent régulièrement faire le trajet entre les édifices fédéraux de Hull et la Cité parlementaire, à Ottawa.
Ces navettes, qu’elles soient fluviales ou terrestres, ne seront toutefois pas suffisantes pour éponger le déficit de mobilité engendré par l’absence du pont le plus central de la grande région de la capitale fédérale. L’EPI prévoit une augmentation de la congestion sur les routes et les ponts. Les autres fermetures de ponts interprovinciaux qui pourraient survenir pendant les quatre années que comptera le chantier viendraient évidemment exacerber une congestion routière déjà devenue critique dans le cœur de la capitale.
L’EPI dit collaborer avec les villes de Gatineau et Ottawa, ainsi qu’OC Transpo et la Société de transport de l’Outaouais (STO) pour développer un «plan de gestion du trafic» en prévision du chantier du pont Alexandra. Les travaux, note le rapport, auront inévitablement des impacts sur les volumes de circulation et les temps de déplacement.
Parc transformé en chantier
La déconstruction d’un pont centenaire en acier et la construction par la suite, au même endroit, d’un nouveau lien appelé à devenir la nouvelle signature du cœur de la capitale fédéral ne se fait pas sur un mouchoir de poche. La logistique entourant les travaux et la gestion du chantier s’annonce complexe et forcera nécessairement le gouvernement fédéral à altérer temporairement certains espaces verts emblématiques de la capitale.
Le rapport sur la Description détaillée du projet donne un avant-goût de ce qui attend la rive québécoise pendant les quatre années que durera le projet. Des analyses restent à faire, mais il se pourrait bien qu’une bonne partie du parc Jacques-Cartier devienne l’arrière-cour du chantier.
Des structures d’amarrage pour charger et décharger les matériaux seront nécessaires. L’EPI précise que les zones immédiatement adjacentes au pont qui pourraient être touchées comprennent évidemment le parc Jacques-Cartier, mais aussi les terrains du Musée canadien de l’histoire, de l’usine Kruger, ainsi que, dans une moindre mesure la pointe Kìwekì [anciennement la pointe Nepean] et le parc Major’s Hill.
L’aire de stationnement, la marina et le quai du parc Jacques-Cartier sont des sites très précieux pour l’assemblage de composantes plus grandes pour le pont, note l’EPI. Cela donnerait aux entrepreneurs un excellent accès pour les bateaux de service, de mise à l’eau et de stationnement, ainsi que pour recevoir la livraison des composantes du pont par barge.»
La proximité du parc Jacques-Cartier avec le pont en fait un excellent candidat pour devenir une «zone de rassemblement» qui accueillerait les services de soutien et les opérations nécessaires à la construction et la déconstruction du pont. Ainsi, on pourrait retrouver au parc Jacques-Cartier une centrale de béton, de l’entreposage de matériaux et de produits pétroliers, des contenants à outils et des aires de dépôts pour les matériaux de déconstruction.
L’endroit pourrait aussi servir de stationnement pour la machinerie lourde et les équipements requis comme des excavatrices, des rétrocaveuses, des bulldozers, des grues, des plateformes élévatrices, des pompes à béton, des installateurs de pieux et des génératrices. Les bureaux du personnel administratif et technique y seraient aussi installés.
«Ces installations de dépôt et de rassemblement seront démantelées à la fin du projet, après quoi les sites utilisés seront restaurés, note l’EPI. Cela peut comprendre le nettoyage, l’élimination des matériaux granulaires, l’emplacement du remblai, le nivellement et l’aménagement paysager.»
Étape par étape
Les ingénieurs de l’EPI évaluent présentement plusieurs scénarios de déconstruction du pont Alexandra. Ce dernier a été construit en séquences, il y a plus d’un siècle. Cela pourrait suggérer la même méthode, mais à l’inverse. La séquence des étapes pour la construction est pour sa part déjà précisée.
Les années 2028 et 2029 serviront à organiser le chantier, déplacer les services publics, construire le quai temporaire pour les barges, installer les batardeaux pour la rivière des Outaouais, forer le fond de la rivière et construire les nouveaux piliers en béton armé.
L’année 2030 doit être le théâtre de l’assemblage de la superstructure sur les piliers de béton et de la construction du tablier de circulation véhiculaire et du tablier de la promenade.
Les années 2030 et 2031 donneraient lieu au réaménagement de l’intersection du boulevard des Allumettières et de la rue Laurier si cela s’avère nécessaire, mais aussi à la construction de murs de soutènement aux approches de Gatineau et d’Ottawa. Les travaux de pavage, d’éclairage et de signalisation sont aussi au menu. Le pont doit être ouvert au public en 2032.
La dernière étape surviendra une fois le pont ouvert et se résume à la remise en état des habitats naturels et la restauration des sites adjacents au pont qui auront servi à l’organisation du chantier.