5. Prison du comté de Carleton

Construction :  1860 à 1862

Architecte :  Henry Hodge Horsey

Emplacement :  75 - 77, rue Nicholas, Ottawa

 

Solide structure de pierre symbolisant la force et l’austérité, la prison du comté de Carleton était considérée comme un immeuble « spacieux et aéré » quand elle a été inaugurée en 1862. Elle remplaçait le sous-sol « misérable et toxique » voisin, première prison d’Ottawa, qui avait servi pendant 20 ans.

La nouvelle prison, œuvre de l’architecte de Kingston (Ontario) Henry Hodge Horsey, matérialisait la volonté d’imposer des punitions et de dissuader les criminels tout en reflétant les principes réformateurs du 19e siècle. Désormais, la prison devait réhabiliter les détenus et fournir un logement sûr. Hommes et femmes, jeunes et plus âgés, accusés et condamnés étaient idéalement séparés. Les détenus susceptibles d’être dangereux étaient isolés.

Derrière ses murs massifs, la prison avait adopté une version simplifiée du modèle Auburn, nommée d’après la prison de l’État de New York dans la ville du même nom, qui avait établi la norme des cellules individuelles – fussent-elles minuscules.

L’aile du bloc cellulaire de la prison du comté de Carleton est une structure en pierre de quatre étages, à l’arrière de l’immeuble, chapeautée par un toit à pignon de faible pente. Sous terre, un tunnel menait au palais de justice du comté de Carleton, située au nord.

Du côté nord de la prison, se trouvait une cour de service entourée par un mur de pierre haut de 4,5 mètres. Une cour d’exercice, au sud, et la cour de la potence, face à l’est, étaient délimitées par un mur de 6 mètres.

Au-dessus du mur, on voit encore les portes menant à la potence, intacte et pleinement fonctionnelle. C’est là que le 11 février 1869, devant plus de 5000 personnes, Patrick Whelan a été pendu pour l’assassinat de Thomas D’Arcy McGee.

Le bloc administratif, donnant sur la rue Nicholas, est très différent, avec sa façade symétrique composée de trois baies de pur style italianisant. À partir du toit mansardé, au-dessus de la corniche principale ornementée, une grande lucarne centrale à corbeaux latéraux soutenant un fronton en demi-cercle est flanquée de deux lucarnes à chambranles et frontons en pente. Cette partie de l’immeuble abritait les appartements du directeur de la prison.

Le parement extérieur de l’immeuble est un de ses aspects caractéristiques. À l’avant, la façade du rez-de-chaussée et les contreforts d’angle sont bossagés et présentent des strates alternantes de pierre de taille et de calcaire à parement brut. Le niveau inférieur a un parement de pierre à joints en V. En revanche, les deux étages supérieurs sont recouverts de pierre de taille au fini lisse, avec des angles structurés. L’élévation principale est dominée par deux cheminées latérales au sommet ornementé, s’élevant au-dessus du toit.

À l’intérieur, les conditions d’emprisonnement n’étaient guère exemplaires. Les cellules minuscules de l’imposant immeuble étaient inconfortables et malsaines, dépourvues de chauffage, d’éclairage, de ventilation et de plomberie.

En 1930, un rapport provincial produit par une commission royale sur le bien-être public critiquait sévèrement la prison du comté de Carleton et appelait à son remplacement immédiat. Malgré les pressions exercées à l’échelle provinciale et l’indignation croissante de la population face aux conditions de plus en plus inhumaines, c’est seulement en mars 1970 que des appels d’offres ont été lancés pour le Centre de détention régional d’Ottawa-Carleton qui serait construit à Blackburn Hamlet.

La fermeture imminente de la prison a incité le comité du patrimoine de l’organisme La capitale des Canadiens (qui deviendrait plus tard Patrimoine Ottawa) à organiser au Collège Algonquin une série de séminaires publics sur l’architecture historique d’Ottawa et la valeur patrimoniale d’immeubles menacés comme la prison.

Une des recommandations qui en est ressortie et qui a été acceptée par la Ville d’Ottawa en 1972 a fait en sorte que la prison du comté de Carleton soit louée au comité de l’auberge de jeunesse d’Ottawa.

En 1978, la prison du comté de Carleton a été désignée en vertu de la Loi sur le patrimoine de l’Ontario pour sa valeur historique, architecturale et contextuelle.

Dans le numéro de décembre 1981 d’Ottawa Magazine, R.A.J. (Bob) Phillips, président de La capitale des Canadiens, a résumé comme suit le combat livré pour sauver la prison du comté de Carleton :

« Il est difficile de se rappeler aujourd’hui que les donjons de la rue Nicholas étaient censés avoir été construits selon le modèle d’un établissement pénal exemplaire. Premier édifice public notable construit après les édifices du Parlement, la prison était en un sens une réponse aux écrits de Charles Dickens qui avaient interpellé la conscience du public en ce qui concerne la vie carcérale... Elle a reçu de nombreux résidents célèbres et elle est le lieu de la dernière pendaison publique au Canada. ...

« Le combat pour sauver la prison a été animé. Les tenants de la conservation, sans pouvoir et avec à peine assez d’argent pour acheter un timbre poste, sont montés au créneau contre l’hôtel de ville et la confrérie juridique. ... Le reste appartient à l’histoire. Lorsque le prince Philip a inauguré l’auberge de jeunesse canadienne en 1974, ... tout le monde a évidemment dit combien avait été visionnaire le fait de sauver la prison et combien de centaines de milliers de dollars il en aurait coûté de construire une auberge de jeunesse à neuf. »

L’ancienne prison du comté de Carleton est aujourd’hui l’auberge de jeunesse Saintlo Ottawa, offrant aux visiteurs du 21e siècle la possibilité de passer la nuit dans une authentique cellule en prison.